Ce qui ressemble à priori à l'exclamation un peu extrême d'un fan
de The West Wing est en réalité le thème d'un article du New York
Times (2) paru quelques jours avant les élections présidentielles
américaines.
Dans cet article, Brian Stelter (3) constate l'étonnante
ressemblance qui existe entre le candidat fictif Matthew Santos de la
série au cours des sixième et septième
saisons et l'actuel président américain Barack Obama: âgés d'une quarantaine
d'années, ils sont tous les deux issus d'une minorité visible (l'une noire,
l'autre hispanique), ont deux enfants, se lancent dans une course qui semble
perdue d'avance et refusent d'être stigmatisés par leur origine
« socio-raciale » mais désirent au contraire incarner l’emblème d’une Amérique nouvelle.
Certains sites internet de journaux avaient été jusqu'à accuser
Obama de plagier le parcours du personnage de la série!(4) Mais il s'avère qu' Eli
Attie (5), l'un des scénaristes de la série, s'est en réalité inspiré d'Obama
ainsi que de McCain en 2004 pour créer les personnages de Santos et de Vinick, le candidat
républicain; certaines similitudes étaient donc prévisibles mais cela devrait
s'arrêter là; or dans la série tout comme dans la réalité (des années plus tard), des événements réels
coïncident parfaitement avec la fiction: l'équipe de Santos a une longueur
d'avance sur son adversaire en ce qui concerne la gestion de l'information par
le biais de l'outil informatique et cette même équipe devine que les électeurs
risquent de mentir sur leur enclin à voter pour un candidat issu d'une
minorité. Même les choix des vice-présidents sont identiques: le démocrate
choisit un vétéran de Washington pour une plus grande maîtrise de la politique
extérieure du pays tandis que le républicain s'allie à un gouverneur
conservateur pour renforcer les convictions du parti. (2)
Santos finit par l'emporter après une nuit d'élection très
mouvementée. Les fans de la série, durant les mois précédent les élections,
s'interrogent alors: Barack Obama aura-t-il le même destin que Matthew Santos?
Sur un blog du Telegraph quelques semaines avant les élections on pouvait lire
en gros titre d'un article : « Barack Obama va l'emporter: tout
est dans « The West Wing »(6); le journaliste terminait: «..mes opinions n'auront aucun impact, il ne s'agit
pas de cela. Tout s'est décidé quand Aaron Sorkin s'est emparé de son stylo. Il
y a une divinité qui dessine nos
destins, les taille selon notre bon vouloir. »(7) Les dons
divinatoires que prêtent Hannan à Sorkin peuvent paraître absurdes mais ils
prennent tout leur sens lorsque l'on a pu apprécier les deux dernières saisons
de la série avant l'élection de Barack Obama.
Quand j'entendais dire que des séries comme 24 avaient préparé les américains à un candidat de couleur, je
jugeais le propos excessif; le fait est qu'on se contentait de citer des
articles de journaux comme le New York Times qui reconnaissent
maintenant l'influence que peuvent avoir
certaines séries sur la politique nationale du pays. D'ailleurs beaucoup
d'autres (The Herald Tribune, le site de la chaîne NBC...) se
sont empressés, avec amusement, de citer cet article en essayant d'y apporter
des éléments nouveaux.
Quelle plus grande récompense pour Aaron Sorkin, John Wells et Eli
Attie que de voir à la tête de leur pays un homme auquel ils avaient seulement
rêvé à travers la télévision! Leur pouvoir performatif mis à part, il semble
que ces hommes aient été suffisamment attentifs à l'évolution de leur pays,
politiquement, socialement, sociologiquement au point d'être capable de sentir
le vent (et les opinions) tourner. Aux Etats-Unis, le talent des créateurs et
des scénaristes de séries est indissociable de leur engagement politique: ainsi
armés de leurs convictions et de leurs frustrations face au gouvernement en
place, quoi de plus satisfaisant, comme acte de résistance, que de façonner des dirigeants politiques
tels qu'on aimerait qu'ils soient, tels
qu'on souhaiterait qu'ils agissent?
Entièrement ancrées dans l'Amérique actuelle, ces séries jonglent
avec les aléas de la vie politique aussi naturellement qu'il serait impossible
de voir un groupe d'adolescents débattre avec conviction, dans une série
française, des querelles au sein du parti socialiste ou même s'en prendre
violemment à la privatisation de La Poste décidée par Nicolas Sarkozy. Tandis
que dans Sex and the city Frank Rich (8), Fran Lebowitz (9) et Ed Koch
(10) défilent avec Carrie, que Miranda
quand elle ne se débat pas contre ses démons amoureux et sexuels, lit le New
York Times et regarde The Daily Show(11), que Claire crie sa haine
de Bush dans Six Feet Under devant une famille endeuillée, que Rory,
dans Gilmore Girls, dissimule occasionnellement son T-shirt « Go
away Bush! » (Va-t-en Bush!) par crainte de choquer sa grand-mère
conservatrice, et qu'elle troque, avec ses camarades de classe, les posters des célébrités contre des
affiches sur lesquelles on peut voir Noam Chomsky (12) ou lire un réquisitoire
contre la guerre entre Irak.
La promptitude des américains à traiter des sujets brûlants nous
avait déjà agréablement surpris par le passé lorsque des séries comme The
West Wing, Third Watch (New York 911) ou Without a Trace (FBI portés
disparus), s'étaient emparées avec brio des évènements du 11 septembre et avaient usés de leur
notoriété pour des appels à la tolérance. Ce fut aussi une agréable surprise de
voir la campagne d'Obama abordée dans l'excentrique et décalé Gilmore Girls:
dans la petite ville de Stars Hollow peuplée de personnages surréalistes, on y
croise parfois Stephen et Norman Mailer (13), Christina Amanpour (14) mais on y
suit surtout Lorelai Gilmore, pétillante mère célibataire et sa jeune fille
Rory, étudiante brillante, qui après s'être vu refusée le stage de ses
rêves au New York Times et après avoir
décliné la demande en mariage de son riche petit ami, va finir par être engagée
par un site web en tant que journaliste pour suivre en bus, avec des reporters
de tous le pays, Barack Obama tout au long de sa campagne à travers les
Etats-unis. Dans le dernier épisode de la série, sa mère l'accompagne dans ses
derniers préparatifs avant le long voyage et essaie de la convaincre d'emporter
un sac-banane où cas où le sénateur aurait envie d'un chewing-gum, ce qui
pourrait faire d'elle, d'après sa mère: « une copine de
chewing-gum avec le futur président des
Etats-unis! »(15) On est alors au début de l'année 2007.
Rory Gilmore s'en va suivre la campagne de Barack Obama qui semble,
lui, suivre les traces de Matthew Santos ; ces personnages sont les symboles
forts de l'ambition grisante et iconoclaste des séries américaines qui dans des
élans parfois extralucides nous dépeignent des vies, des destins qui s'amusent
à se concrétiser. Conscients du pouvoir que peuvent renfermer une séquence, un
personnage, une scène, leurs créateurs sont bien décidés à prendre une avance
sur le temps qui passe pour nous parler d'un avenir, d'une époque dont ils aimeraient tant faire partie.
Ces séries sont pour eux autant que pour nous, téléspectateurs, une
sorte de refuge, un exutoire qui bien au-delà du divertissement, fascinent tout
en nous rappelant, comme tous les grands résistants de l'Histoire, que muni
d’un peu de volonté nous pouvons changer le cours et l'ordre des choses.
(1) [i]The West Wing (A la Maison Blanche), série créée en 1999 par Aaron Sorkin,
produit par John Wells arrêtée en 2006, diffusion sur NBC.
(2) Following the
script: Obama, McCain and ‘The West Wing’ tiré du The New York Times, 30 octobre
2008
(3) Brian Stelter, journaliste américain au New York Times.
(4) Daniel Hannan, journaliste britannique
au The Telegraph. Article du 13 octobre 2008 : http://blogs.telegraph.co.uk/daniel_hannan/blog/2008/10/13/barack_obama
_will_win_its_all_in_the_west_wing
(5) Eli attie, co-scénariste de The West
Wing, collaborateur de l'ancien vice-président Al Gore.
(6) ''Barack Obama
will win: it's all in « The West Wing »''
(7) « ..not that my opinions will have
the slightest impact, of course. The thing was fated when Aaron Sorkin took up
his pen. There's a divinity that shapes our ends, rough-hew them how we
will. »
(8) Frank Rich, journaliste américain au New York Times
(9) Fran Lebowitz, écrivaine américaine
(10) Ed
Koch, homme politique américain
(11) The
Daily Show animé par
Jon Stewart et diffusé sur la câblée Comedy Central du lundi eu jeudi est un
faux journal satirique qui s'en prend avec férocité et humour au gouvernement
américain en place, tous partis confondus
(12) Noam
Chomsky, linguiste, écrivain, intellectuel américain.
(13) Norman
Mailer, écrivain américain et son fils Stephen, acteur américain
(14) Christina
Amanpour, journaliste britannique et correspondante internationale en chef pour CNN.
(15) «..a gum-buddy with the future president of
the United States!» Gilmore Girls (2000-2007), saison 7,
épisode 22.