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Chroniques terriennes
9 janvier 2009

L'élection de Barack Obama? « The West Wing » (1) l’avait prédit!

Ce qui ressemble à priori à l'exclamation un peu extrême d'un fan de The West Wing est en réalité le thème d'un article du New York Times (2) paru quelques jours avant les élections présidentielles américaines.

Dans cet article, Brian Stelter (3) constate l'étonnante ressemblance qui existe entre le candidat fictif Matthew Santos de la série au cours des sixième et septième saisons et l'actuel président américain Barack Obama: âgés d'une quarantaine d'années, ils sont tous les deux issus d'une minorité visible (l'une noire, l'autre hispanique), ont deux enfants, se lancent dans une course qui semble perdue d'avance et refusent d'être stigmatisés par leur origine « socio-raciale » mais désirent au contraire incarner l’emblème d’une Amérique nouvelle.

Certains sites internet de journaux avaient été jusqu'à accuser Obama de plagier le parcours du personnage de la série!(4) Mais il s'avère qu' Eli Attie (5), l'un des scénaristes de la série, s'est en réalité inspiré d'Obama ainsi que de McCain en 2004 pour créer les personnages de Santos et de Vinick, le candidat républicain; certaines similitudes étaient donc prévisibles mais cela devrait s'arrêter là; or dans la série tout comme dans la réalité (des années plus tard), des événements réels coïncident parfaitement avec la fiction: l'équipe de Santos a une longueur d'avance sur son adversaire en ce qui concerne la gestion de l'information par le biais de l'outil informatique et cette même équipe devine que les électeurs risquent de mentir sur leur enclin à voter pour un candidat issu d'une minorité. Même les choix des vice-présidents sont identiques: le démocrate choisit un vétéran de Washington pour une plus grande maîtrise de la politique extérieure du pays tandis que le républicain s'allie à un gouverneur conservateur pour renforcer les convictions du parti. (2)

Santos finit par l'emporter après une nuit d'élection très mouvementée. Les fans de la série, durant les mois précédent les élections, s'interrogent alors: Barack Obama aura-t-il le même destin que Matthew Santos? Sur un blog du Telegraph quelques semaines avant les élections on pouvait lire en gros titre d'un article : « Barack Obama va l'emporter: tout est dans « The West Wing »(6); le journaliste terminait: «..mes opinions n'auront aucun impact, il ne s'agit pas de cela. Tout s'est décidé quand Aaron Sorkin s'est emparé de son stylo. Il y a une divinité qui dessine nos destins, les taille selon notre bon vouloir. »(7) Les dons divinatoires que prêtent Hannan à Sorkin peuvent paraître absurdes mais ils prennent tout leur sens lorsque l'on a pu apprécier les deux dernières saisons de la série avant l'élection de Barack Obama.

Quand j'entendais dire que des séries comme 24 avaient préparé les américains à un candidat de couleur, je jugeais le propos excessif; le fait est qu'on se contentait de citer des articles de journaux comme le New York Times qui reconnaissent maintenant l'influence que peuvent avoir certaines séries sur la politique nationale du pays. D'ailleurs beaucoup d'autres (The Herald Tribune, le site de la chaîne NBC...) se sont empressés, avec amusement, de citer cet article en essayant d'y apporter des éléments nouveaux.

Quelle plus grande récompense pour Aaron Sorkin, John Wells et Eli Attie que de voir à la tête de leur pays un homme auquel ils avaient seulement rêvé à travers la télévision! Leur pouvoir performatif mis à part, il semble que ces hommes aient été suffisamment attentifs à l'évolution de leur pays, politiquement, socialement, sociologiquement au point d'être capable de sentir le vent (et les opinions) tourner. Aux Etats-Unis, le talent des créateurs et des scénaristes de séries est indissociable de leur engagement politique: ainsi armés de leurs convictions et de leurs frustrations face au gouvernement en place, quoi de plus satisfaisant, comme acte de résistance, que de façonner des dirigeants politiques tels qu'on aimerait qu'ils soient, tels qu'on souhaiterait qu'ils agissent?

Entièrement ancrées dans l'Amérique actuelle, ces séries jonglent avec les aléas de la vie politique aussi naturellement qu'il serait impossible de voir un groupe d'adolescents débattre avec conviction, dans une série française, des querelles au sein du parti socialiste ou même s'en prendre violemment à la privatisation de La Poste décidée par Nicolas Sarkozy. Tandis que dans Sex and the city Frank Rich (8), Fran Lebowitz (9) et Ed Koch (10) défilent avec Carrie, que Miranda quand elle ne se débat pas contre ses démons amoureux et sexuels, lit le New York Times et regarde The Daily Show(11), que Claire crie sa haine de Bush dans Six Feet Under devant une famille endeuillée, que Rory, dans Gilmore Girls, dissimule occasionnellement son T-shirt « Go away Bush! » (Va-t-en Bush!) par crainte de choquer sa grand-mère conservatrice, et qu'elle troque, avec ses camarades de classe, les posters des célébrités contre des affiches sur lesquelles on peut voir Noam Chomsky (12) ou lire un  réquisitoire contre la guerre entre Irak.

La promptitude des américains à traiter des sujets brûlants nous avait déjà agréablement surpris par le passé lorsque des séries comme The West Wing, Third Watch (New York 911) ou Without a Trace (FBI portés disparus), s'étaient emparées avec brio des évènements du 11 septembre et avaient usés de leur notoriété pour des appels à la tolérance. Ce fut aussi une agréable surprise de voir la campagne d'Obama abordée dans l'excentrique et décalé Gilmore Girls: dans la petite ville de Stars Hollow peuplée de personnages surréalistes, on y croise parfois Stephen et Norman Mailer (13), Christina Amanpour (14) mais on y suit surtout Lorelai Gilmore, pétillante mère célibataire et sa jeune fille Rory, étudiante brillante, qui après s'être vu refusée le stage de ses rêves au New York Times et après avoir décliné la demande en mariage de son riche petit ami, va finir par être engagée par un site web en tant que journaliste pour suivre en bus, avec des reporters de tous le pays, Barack Obama tout au long de sa campagne à travers les Etats-unis. Dans le dernier épisode de la série, sa mère l'accompagne dans ses derniers préparatifs avant le long voyage et essaie de la convaincre d'emporter un sac-banane où cas où le sénateur aurait envie d'un chewing-gum, ce qui pourrait faire d'elle, d'après sa mère: « une copine de chewing-gum avec le futur président des Etats-unis! »(15) On est alors au début de l'année 2007.

Rory Gilmore s'en va suivre la campagne de Barack Obama qui semble, lui, suivre les traces de Matthew Santos ; ces personnages sont les symboles forts de l'ambition grisante et iconoclaste des séries américaines qui dans des élans parfois extralucides nous dépeignent des vies, des destins qui s'amusent à se concrétiser. Conscients du pouvoir que peuvent renfermer une séquence, un personnage, une scène, leurs créateurs sont bien décidés à prendre une avance sur le temps qui passe pour nous parler d'un avenir, d'une époque dont ils aimeraient tant faire partie.

Ces séries sont pour eux autant que pour nous, téléspectateurs, une sorte de refuge, un exutoire qui bien au-delà du divertissement, fascinent tout en nous rappelant, comme tous les grands résistants de l'Histoire, que muni d’un peu de volonté nous pouvons changer le cours et l'ordre des choses. 



(1)  [i]The West Wing (A la Maison Blanche), série créée en 1999 par Aaron Sorkin, produit par John Wells arrêtée en 2006, diffusion sur NBC.

(2)  Following the script: Obama, McCain and ‘The West Wing’ tiré du The New York Times, 30 octobre 2008

(3)    Brian Stelter, journaliste américain au New York Times.

(4)  Daniel Hannan, journaliste britannique au The Telegraph. Article du 13 octobre 2008 :  http://blogs.telegraph.co.uk/daniel_hannan/blog/2008/10/13/barack_obama
_will_win_its_all_in_the_west_wing

(5)  Eli attie, co-scénariste de The West Wing, collaborateur de l'ancien vice-président Al Gore.

(6)  ''Barack Obama will win: it's all in « The West Wing »''

(7)  « ..not that my opinions will have the slightest impact, of course. The thing was fated when Aaron Sorkin took up his pen. There's a divinity that shapes our ends, rough-hew them how we will. »

(8)  Frank Rich, journaliste américain au New York Times

(9)  Fran Lebowitz, écrivaine américaine

(10) Ed Koch, homme politique américain

(11) The Daily Show animé par Jon Stewart et diffusé sur la câblée Comedy Central du lundi eu jeudi est un faux journal satirique qui s'en prend avec férocité et humour au gouvernement américain en place, tous partis confondus

(12) Noam Chomsky, linguiste, écrivain, intellectuel américain.

(13) Norman Mailer, écrivain américain et son fils Stephen, acteur américain

(14) Christina Amanpour, journaliste britannique et correspondante internationale en chef pour CNN.

(15) «..a gum-buddy with the future president of the United States!» Gilmore Girls (2000-2007), saison 7, épisode 22.

 

 

 

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